Comment expliquer qu'une partie significative de l'opinion suive un personnage aussi insolite, dont
le nom lui-même aurait pu servir de repoussoir ? Derrière Frigide Barjot, égérie des Manifs Pour Tous, on trouve l'énigme Jalons, le « groupe d'intervention culturelle ». Qui sont les Jalons ? Qui est vraiment Frigide Barjot ?
Avril 2004. Une boite de nuit homo, dans le centre de Paris. Parmi les drag queens et les gogo dancers, une bande d'allumés célèbre bruyamment la « nuit de l'élargissement ». Discours, chants, concours. Ambiance potache et second degré assurée à tous les étages. Aux commandes de cette soirée peu conventionnelle, une sorte de clown mélancolique et brillant, proférant des énormités politiques et pornographiques avec un sérieux imperturbable, le « Président » Basile de Koch, et une aimable jeune femme (la sienne) souriante et sexy, Frigide Barjot, couvrant d'éloges les éphèbes à demi-nus et maîtrisant avec brio une petite foule compacte, qui hurle alternativement « Drag Queen, sous l'uniforme, tu restes un travailleur ! » et « Ravaillac assassin ! Ravaillac assassin ! » (Henri IV fut assassiné à quelques pas de là).
Un certain vicomte de Puypeu, ainsi que d'autres personnages au nom improbable, prennent la parole. Derrière la célébration décalée et grinçante des nouveaux pays européens qui rejoignent l'Union, une critique impitoyable, fine, profonde d'une construction européenne mal ficelée, bâclée, bureaucratique, qui, dix ans plus tard, donnera la crise que l'on sait, menaçant la survie même de l'Europe, la vraie. D'ailleurs, le souverainiste Charles Pasqua, ancien patron de Basile de Koch, et plusieurs de ses lieutenants sont là et observent la scène avec amusement.
Et aujourd'hui ! Des millions de Français dans la rue, dans la joie et la bonne humeur, brandissant pacifiquement des drapeaux roses et bleus et criant à tue-tête « un père, une mère, c'est élémentaire ! » Mouvement imprévisible par son ampleur, prenant de cours les mass-médias et la classe politique, qui s'attendaient tout au plus à quelques dizaines de milliers d'activistes droitiers et homophobes.
Quel que soit le rôle exact de Frigide Barjot dans ce succès, (porte-parole, organisatrice, inspiratrice, initiatrice ou simple visage de La Manif Pour Tous dans les médias), ni son image ni sa réalité ne collent, en apparence du moins, avec ce phénoménal mouvement de société. Tous ceux qui la connaissent vous le diront : Frigide Barjot est une femme d'une grande gentillesse, d'une totale franchise, bonne vivante, drôle et émouvante, charismatique, bonne communicante, aussi peu homophobe que possible, d'une désorganisation absolue, ignorant la notion d'horaire, fêtarde, parisienne, très éloignée donc, culturellement et même socialement, du public des Manifs Pour Tous. Sauf sur un point, essentiel peut-être, mais qui n'explique pas tout : Virginie Merle, épouse Tellenne, est une « vraie » mère de famille catholique, reconnue comme telle au premier coup d'œil par toutes ses paires et mères de France et de Navarre.
Certes, la mutation de Frigide Barjot, de Première Dame du groupe Jalons en missionnaire passionnée du catholicisme décomplexé et cathodique ne date pas d'hier, comme en témoignent son livre Confession d'une catho branchée, son site web Touche pas à mon pape, sa page Facebook, ses apparitions télévisées.
La suite : Agoravox, par Pierre de la Coste
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